Engagement sur chantier : attention

Les travailleurs, à tout le moins ceux soumis à la CCT Electricité, peuvent-ils être rattachés à un chantier, et non au siège d’une entreprise ? Le Tribunal Fédéral a tranché dernièrement sur ce point.

Les faits

Roger, travailleur temporaire avec titre professionnel, a été placé pour deux missions auprès d’une entreprise cliente soumise à la CCT Electricité, entre novembre 2014 et 2016. Le lieu de travail mentionné était le chantier. Il utilisait son véhicule privé pour se rendre au travail et devait remplir un rapport hebdomadaire mentionnant notamment ses frais de déplacement.

En 2017, Roger réclame le paiement :

  • d’un salaire brut de CHF 4’265,10 à titre de rémunération de son temps de déplacement et
  • d’un montant net de CHF 6’824,15 à titre de remboursement de ses frais kilométriques.

Selon l’art. 24.5 CCT Electricité, la fixation du lieu de début de travail (domicile de l’entreprise ou chantier) incombe à l’employeur. Si le travail commence dans l’entreprise (atelier), le trajet entre l’entreprise et le poste de travail est considéré comme temps de travail et non pas le trajet entre domicile et le lieu de travail ; si le travail commence à l’extérieur (par exemple au chantier), la différence de temps dépassant le trajet entre le domicile du travailleur et l’entreprise ou l’atelier est considérée comme temps de travail.

Le commentaire de la CCT location de services, en lien avec l’art. 22 CCT location de services, prévoit que le lieu de l’entreprise de mission est son siège social.

Le droit

Selon l’art. 3 al. 1 CCT location de service (LSE), les dispositions étendues de la CCT de l’entreprise locataire de service (entreprise cliente) relatives au salaire et à la durée du travail de la  CCT concernée sont applicables aux travailleurs temporaires. La LSE prévoit ainsi la priorité des dispositions étendues spécifiques de la CCT concernée.

Selon l’art. 20 al. 1 LSE, l’entreprise bailleur de service (de travail temporaire) doit appliquer aux travailleurs les dispositions de la CCT étendue relatives au salaire et à la durée du travail de l’entreprise locataire de service (entreprise cliente). L’art. 48a OSE précise quelles sont les dispositions relatives au salaire et à la durée du travail, parmi lesquelles on doit notamment citer :

  • les frais,
  • le temps de travail normal,
  • les temps de déplacement et d’attente.

Le TF relevé à plusieurs reprises que le but de l’art. 20 LSE est que les conditions de concurrence ne souffrent pas de distorsion lorsqu’une entreprise occupe des travailleurs temporaires dont les conditions de travail ne sont pas conformes à la CCT de la branche d’activité concernée.

Le TF a considéré que la ratio legis et la lettre de l’art. 20 LSE sont clairs et tendent à ce que le bailleur de service applique les CCT étendues, s’agissant des dispositions concernant le salaire et la durée du travail, aux travailleurs temporaires au même titre que ces CCT sont appliquées aux travailleurs fixes.

Selon le TF, il n’est pas arbitraire de retenir que les dispositions de la CCT Electricité sont applicables en l’espèce.

Le travailleur, qu’il soit fixe ou temporaire, doit être rattaché juridiquement au siège d’une entreprise et un chantier ne peut être considéré comme tel. Le lieu habituel de travail d’un travailleur temporaire doit être convenu de manière conforme à l’art. 24.5 de la CCT Electricité et ne peut par conséquent pas être un chantier.

La décision du Tribunal Fédéral

Le TF a confirmé l’obligation de l’employeur de payer à Roger un salaire brut de CHF 4’265,10 à titre de rémunération de son temps de déplacement et le montant net de CHF 6’824,15 à titre de remboursement de ses frais kilométriques, le tout avec intérêts. L’employeur a en outre été condamné à payer des frais judiciaires arrêtés à CHF 500.- et à verser à Roger une indemnité de dépens de CHF 2’500.-

En conclusion

Les travailleurs, à tout le moins ceux soumis à la CCT Electricité, doivent être attachés au siège d’une entreprise et un chantier ne peut pas être considéré comme tel.

Ce jugement pourrait bien remettre en cause la pratique d’engager les travailleurs temporaires sur chantier.

Cette décision concerne la CCT Electricité et il faut examiner attentivement les dispositions des autres secteurs d’activité pour déterminer si le lieu de chantier peut être considéré comme lieu de travail.

 

Vous avez un doute sur ce sujet, ou pour tout autre autre thème lié aux assurances sociales ou au droit du travail, n’hésitez pas à envoyer un courriel à pmatile@cje.ch et vous serez rappelé par téléphone par Me N. Berger ou par Me P. Matile.