Stagiaire accidenté : qui paie ?

Stagiaire accidenté : qui paie ?

Une contribution de Me Pierre Matile, av. à la rubrique Droit pratique RH de l’Association HR Neuchâtel

 

L’article en PDF

Lorsque l’AI accorde une mesure d’orientation professionnelle, la personne est couverte contre le risque accident. Qu’en est-il en cas de :

  • Placement à l’essai par l’AI
  • Stage rémunéré
  • Stage non rémunéré
  • Volontariat

Décision du Tribunal fédéral 8C_324/2018 04.12.2018

Les faits

A., chauffeur-livreur né en 1961 est en incapacité totale de travail depuis le 21 novembre 2013 en raison de lombosciatalgies. Le 21 mai 2014, il dépose une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Le 9 février 2016, l’Office de l’assurance-invalidité lui accorde une mesure d’orientation professionnelle du 1er mars au 31 mai 2016 sous la forme d’un stage d’aide-magasinier auprès de C. SA qui assure ses employés pour les accidents professionnels et non professionnels auprès de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA). Le 7 juin 2016, l’assuré, C. SA et le conseiller de l’Office de l’assurance-invalidité concluent une convention pour un placement à l’essai de l’assuré du 1 er juin au 31 août 2016 en qualité d’aide-magasinier. Par décision datée du 9 juin 2016, l’Office de l’assurance-invalidité accorde à l’assuré cette mesure, assortie des indemnités journalières correspondantes. La mesure est ensuite reconduite pour trois mois supplémentaires. Le 18 octobre 2016, A. a chuté, sur son lieu de travail, d’une échelle d’une hauteur d’environ trois mètres. Il a subi une fracture de la 11ème vertèbre dorsale. L’assurance-invalidité a interrompu le versement des indemnités journalières dès le 18 octobre 2016. Par décision du 26 janvier 2017, confirmée sur opposition le 19 juillet 2017, la CNA a refusé de prendre en charge le cas. Elle retient que l’intéressé avait bénéficié de la couverture d’assurance LAA du 1er mars au 31 mai 2016 (soit durant la mesure d’orientation professionnelle) et que l’assurance avait cessé de déployer ses effets trente jours après la fin de cette mesure. Quant au placement à l’essai, il n’ouvrait pas un droit à la couverture d’assurance étant donné que A. n’était ni salarié de C. SA, ni en stage auprès de celle-ci. Par arrêt du 15 mars 2018, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par A contre la décision sur opposition. Elle a réformé celle-ci en ce sens que la CNA était tenue de prendre en charge les suites de l’accident du 18 octobre 2016. La CNA a formé un recours en matière de droit public dans lequel elle conclut à l’annulation de l’arrêt cantonal et à la confirmation de sa décision sur opposition du 19 juillet 2017.

En droit

Selon l’art. 1 a al. 1 LAA, sont assurés à titre obligatoire les travailleurs occupés en Suisse, y compris les travailleurs à domicile, les apprentis, les stagiaires, les volontaires, ainsi que les personnes travaillant dans des écoles de métiers ou des ateliers protégés (let. a). Conformément à la délégation que lui confère l’art. 1a al. 2 LAA, le Conseil fédéral a étendu l’assurance obligatoire à certaines catégories de personnes (art. 1 a OLAA), par exemple celles appartenant à une communauté religieuse, celles détenues (sous certaines conditions) ou encore les personnes exerçant une activité chez un employeur aux fins de se préparer au choix d’une profession (voir à ce dernier propos: ATF 124 V 301).

« Travailleur » au sens de la LAA

Selon la jurisprudence, est réputé travailleur au sens de l’art. 1 a al. 1 LAA celui qui, dans un but lucratif ou de formation, sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné. Sont ainsi visées avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art.319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public (ATF 141 V 313 consid. 2.1 p. 314; 115 V 55 consid. 2d p. 58 s.). Cependant, comme l’ont rappelé les premiers juges, l’existence d’un contrat de travail au sens propre ne constitue pas une condition pour la reconnaissance de la qualité de travailleur au sens de l’art. la al. 1 LAA. En l’absence d’un contrat de travail ou de rapports de service de droit public, la qualité de travailleur doit être déterminée à la lumière de l’ensemble des circonstances économiques du cas d’espèce. Dans cette appréciation, il convient de ne pas perdre de vue que la LAA, dans la perspective d’une couverture d’assurance la plus globale possible, inclut également des personnes qui, en l’absence de rémunération, ne peuvent pas être qualifiées de travailleurs, tels que les volontaires et les stagiaires. La notion de travailleur au sens de l’art. 1 a LAA est par conséquent plus large que celle que l’on rencontre en droit du travail (ATF 141 V 313 consid. 2.1 p. 315 et les références).

Placement à l’essai par l’AI

Le placement à l’essai vise essentiellement à évaluer la capacité de travail réelle de l’assuré sur le marché de l’emploi. Cette mesure vise à augmenter les chances de réinsertion des assurés. Elle concerne ceux d’entre eux qui sont aptes à la réadaptation et dont les capacités sont réduites pour raison de santé. Le placement s’inscrit dans un processus global de réadaptation sur le marché de l’emploi. S’il débouche sur un contrat de travail, une allocation d’initiation au travail (art. 18b LAI) peut être accordée à l’entreprise (voir Michel Valterio, Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, p. 256 s.). Selon le TF, il n’y a pas de raison de traiter différemment, sous l’angle de l’assujettissement à l’assurance-accidents obligatoire, une mesure de placement à l’essai d’un stage ou d’un volontariat. Sous ce même angle, on ne voit pas ce qui justifierait une différence entre une orientation professionnelle (art. 15 LAI) sous la forme d’un essai au travail (durant lequel l’assuré est soumis à la LAA) et un placement à l’essai au sens de l’art. 18a LAI qui en était en l’espèce la continuation. Il existe d’autant moins de raison d’opérer une distinction que la mesure de placement à l’essai présente bon nombre de caractéristiques qui sont propres au contrat individuel de travail, comme cela ressort de l’énumération figurant à l’art. 18a al. 3 LAI. Si cette disposition ne mentionne pas les art. 324a à 324b CO comme applicables par analogie, c’est que le placement à l’essai est une mesure de réadaptation de l’assurance-invalidité régie par le droit public (cf. MEYER/REICHMUTH, op. cit. n. 1 ad art. 18a LAI). En outre, comme l’ont relevé les premiers juges, l’intimé n’exerçait pas durant l’exécution de la mesure de placement une simple activité de complaisance, mais l’activité qu’il déployait constituait un véritable engagement pour lequel C. SA y trouvait un intérêt économique. Il participait au processus d’exploitation et était de ce fait soumis – preuve en est l’accident dont il a été victime – aux mêmes risques professionnels que les autres travailleurs de l’entreprise. Dans ces conditions, le TF indique qu’on doit admettre qu’il était obligatoirement assuré contre les accidents auprès de la CNA.

Décision

Les considérants qui précèdent ont conduit le TF au rejet du recours et par conséquent à ordonner à la CNA de prendre en charge les suites de l’accident du 18 octobre 2016.
Autres jugements Le TF a été appelé à plusieurs reprises à statuer suite à des accidents consécutifs à un stage, un essai non rémunéré, etc. dont voici à ce sujet quelques jurisprudences.

  • Stage d’une étudiante en médecine En application de ces principes, le Tribunal fédéral a jugé, par exemple, qu’une étudiante en médecine qui effectue un stage dans un cabinet médical est obligatoirement assurée contre les accidents (ATF 141 V 313).
  • Essai non rémunéré Il en est allé de même d’une bénéficiaire de l’aide sociale qui était placée à l’essai et sans être rémunérée dans une entreprise de nettoyage (arrêt 80_302/2017 du 18 août 2017 consid. 4.5).
  • Volontaire pour un projet de recherche Est également assurée une personne occupée sur la base d’un volontariat dans une université pour un projet de recherche en Afrique, sans être au bénéfice d’un contrat de travail et sans qu’un salaire n’ait été convenu (arrêt 80_183/2014 du 22 septembre 2014). Plus généralement, le Tribunal fédéral a également jugé que les personnes qui travaillent à l’essai sans recevoir de salaire chez un employeur sont assurées par ce dernier, dès lors que celui-ci a un intérêt économique à la prestation accomplie (SVR 2012 UV n° 9 p. 32 [80_503/2011] consid. 3.5).
  • Adolescente dans un centre équestre Il a enfin été jugé qu’une adolescente de 15 ans, qui travaillait pendant ses loisirs dans un centre équestre et qui, pour seule contre-partie, avait le droit de monter à cheval, était obligatoirement assurée contre les accidents (ATF 115 V 55).

Conclusion

Un risque d’absence de couverture contre les accidents professionnels apparaît faible au regard de la jurisprudence du TF.

 

Cortaillod, le 31 janvier 2019.
CJE Sàrl
Pierre Matile, av.