Déjouer les pièges du contrat de travail

Les contrats de travail sont souvent négligés par les patrons. Les conséquences peuvent être dramatiques. Pierre Matile, spécialisé en droit du travail pour les entreprises, nous dit à quoi il faut être attentif.

 

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Dans la plupart des cas, les relations entre employeurs et collaborateurs se passent au mieux. «Mais il arrive que des grains de sable se transforment en tracasseries sans fin, voire en catastrophe financière pour l’employeur», relève Pierre Matile. Le Neuchâtelois sait de quoi il parle: depuis une vingtaine d’années, l’avocat s’est spécialisé dans le droit du travail… exclusivement pour les entreprises. Groupes internationaux, PME industrielles ou de services, sociétés de travail temporaire: il distille ses conseils dans toute la Suisse dans le but de prévenir les mauvaises surprises. Selon son expérience, la prévention des risques passe souvent par un contrat de travail bien rédigé. «Une chose sérieuse à laquelle il convient d’attacher toute son importance. Il incombe à l’entrepreneur de définir sa politique en droit du travail comme il le fait dans tous les autres domaines.» La rédaction d’un contrat de travail doit prendre en compte plusieurs paramètres, comme la soumission à une convention collective de travail ou à un contrat type de travail, le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, les us et coutumes de la région ou le marché du travail, etc. Et aussi certains détails que les patrons oublient trop souvent. Pierre Matile nous en révèle quelques-uns.

 

1. Donner des renseignements : attention danger !

Il est fréquent, entre responsables RH ou chefs d’entreprise, de se téléphoner pour parler de candidatures. L’exercice est dangereux. Celui qui recueille les informations ne transgresse aucune loi. En revanche, celui qui en donne, viole la loi sur la protection des données et est punissable. Une jurisprudence émanant du TF confirme cette possibilité de sanctions. La facture peut être salée pour l’ancien employeur. Pour évaluer le préjudice subi par un employé qui ne retrouvait pas de travail suite à ces conversations, le TF a pris en compte la différence entre les indemnités perçues de la caisse de chômage et l’ancien salaire. De plus, les juges ont estimés que l’employé subit un tort moral et lui ont alloué une indemnité. Que faire pour éviter ces problèmes? Se taire est une solution. Une autre est d’indiquer dans le contrat de travail si, après la fin de la collaboration, le patron a le droit – ou non – de donner des renseignements. Si c’est prévu, il ne courra aucun risque, tant qu’il y a une cohérence entre le certificat de travail qu’il établit et les renseignements oraux qu’il donne. Que l’on se rassure: ce cas de figure n’est pas valable pour quelqu’un cité en référence dans un CV. Là, la personne a au contraire l’obligation de fournir des renseignements. Il doit simplement s’assurer que l’interlocuteur est bien la personne habilitée à les recevoir.

 

2. Cumul d’emplois : imbroglio en vue

Plusieurs problèmes peuvent se présenter lorsqu’un employé cumule les emplois. Pour les limiter, Pierre Matile conseille un maximum de transparence, qui passe par la définition de règles dans le contrat de travail. Si pour le chef d’entreprise, la mesure paraît souvent fastidieuse, elle peut se révéler extrêmement utile.

 

Déterminer l’activité principale

Selon la loi sur le travail, un employé n’a pas le droit de travailler au total plus de 45 ou 50 heures par semaine, selon l’activité. Il ne peut donc s’engager n’importe comment. Pour savoir ce qui est autorisé, il faut établir qu’elle est l’activité principale et déduire le temps travaillé du maximum. La différence représente ce que la loi autorise pour les activités annexes. Si le maximum est dépassé, il y a violation de la loi sur le travail. Des sanctions pénales sont alors possibles contre le travailleur, mais aussi contre les deux employeurs, même si l’obligation de se renseigner incombe plutôt au responsable de l’activité accessoire. La problématique est plus compliquée si une personne cumule deux postes à mi-temps.

 

Maîtriser l’absentéisme

Un autre danger du cumul d’activités est l’absentéisme. Lorsque les horaires sont flexibles, l’employé peut être appelé à travailler simultanément pour les deux employeurs. Le risque est qu’il s’annonce malade auprès de l’un d’eux (pas besoin de certificat durant trois jours). Pour s’en prémunir, le patron a intérêt à informer son collaborateur des risques potentiels d’un tel acte et de lui demander d’indiquer ses autres activités. En cas d’absences répétées, l’employeur peut aussi s’informer de la véracité de la maladie. Si tromperie il y a, cela peut devenir un juste motif de rupture du contrat de travail avec effet immédiat.

 

Frontalier : cotisations sociales payées en Suisse ou en France ?

Si vous employez un frontalier qui a une activité en Suisse et une autre en France, la grande question est de savoir à quelle assurances sociales votre PME devra cotiser. Il n’est pas rare que, même si l’activité française est accessoire, l’employeur suisse doive payer les cotisations sociales sur l’activité suisse en France. Avec la différence de taux, la facture peut se révéler lourde. Sans compter les problèmes administratifs. Dans ce cas, l’employeur suisse a tout intérêt à demander à son employé de choisir entre ses deux activités.

 

Léser les intérêts de l’employeur

Le cumul d’activités peut aussi engendrer des conflits d’intérêts, parfois inattendus. Un exemple: un employé d’un home qui s’occupe à titre privé d’un ancien résident en convalescence pour qu’il puisse rester à domicile. Ou encore, le peintre qui propose au client de son patron d’effectuer les travaux le week-end pour la moitié du prix. Pour éviter ces problèmes, l’employeur doit viser la transparence, clarifier en amont (contrat de travail) les cas de figure. Il ne s’agit toutefois pas d’interdire, ce qui serait d’ailleurs impossible tout particulièrement pour un employé qui travaille à temps partiel. Seulement de bien cadrer.

 

3. Certificat médical : vérifiez ?

Dans ce domaine aussi, il y a des abus. Certains médecins sont reconnus pour délivrer facilement des certificats médicaux, parfois même sur un simple coup de fil! S’il y a des doutes, l’employeur a des droits et peut demander des compléments au certificat établi sur les points suivants:

 

Le début de la maladie

Qui permet de savoir si cela correspond au début de l’absence; la date de la prochaine visite médicale, qui indique si le traitement continue ou si l’employé reprendra son poste;

 

La réalité de l’incapacité de travail

Autrement dit des explications du médecin sur l’absence, car une même atteinte n’a pas les mêmes conséquences pour une secrétaire ou un maçon;

 

 L’origine de l’absence

Maladie ou accident? Afin de la déclarer à la bonne caisse;

 

 Le début et la fin présumée de l’incapacité

Pour prendre des mesures de remplacement;

 

La base du taux d’incapacité

pour un employé à temps partiel. Autrement dit, est-ce qu’une incapacité de 50% concerne un emploi à plein-temps ou à mi-temps. Ce point est source de nombreuses ambiguïtés;

 

 Le droit du malade de sortir de chez lui.

Cela peut être choquant en Suisse, mais les certificats médicaux français l’indiquent. Car dans certains cas, par exemple une dépression, le collaborateur doit sortir pour se remettre. Le savoir peut être positif pour le malade et les collègues. Histoire d’éviter les ragots, s’il est aperçu sur une terrasse pendant que ses camarades triment…

 

Ce que le médecin a constaté par lui-même

Si l’employé a simplement téléphoné pour communiquer les symptômes, le diagnostic sera moins fiable;

 

Les tâches qui ne peuvent être accomplies

En cas d’incapacité partielle (charges, allergie…);

 

La significationdu taux d’incapacité

En cas d’inaptitude partielle. Par exemple, pour une incapacité à 50%, s’agit-il de travailler tous les matins? Ou travailler toute la journée, mais à un rythme plus lent?

 

4. Assurances, patron, employés : bien informer

Pour l’employeur, il est primordial d’être attentif aux règles de comportement imposées par les assurancesmaladie perte de gain. Car une petite négligence peut coûter cher. A première vue, il existe entre les acteurs une relation triangulaire. Entre l’employeur et l’employé, on trouve le contrat de travail. Entre l’employeur et l’assurance, le contrat d’assurance prévaut. En revanche, il n’existe pas de relation directe entre l’employé et l’assurance, alors même que la quasi-totalité des contrats d’assurance impose des comportements bien précis pour que le collaborateur reçoive les indemnités auxquelles il peut prétendre. Un exemple? L’obligation de délier du secret médical les médecins qui ont soigné l’employé. Qu’est-ce qui se passe si ce dernier refuse? L’assurance arrêtera le versement des indemnités à l’employeur. Alors qu’au niveau du droit du travail, l’obligation de rémunération va subsister et l’employeur sera tenu de verser le salaire. Pour se prémunir contre cette mauvaise surprise, l’employeur a tout intérêt à stipuler que l’employé a l’obligation de se soumettre aux règles de comportement des assurances et de les indiquer dans le contrat de travail.

 

5. Perte de gain : attention piège !

Dans les assurances maladie perte de gain, il existe une particularité souvent ignorée. Au terme d’une collaboration, les assurances maladie accordent au collaborateur un délai péremptoire pour s’assurer à titre individuel auprès d’elles (entre 30 et 90 jours). Même si le collaborateur est malade, l’assurance a l’obligation d’accepter sa demande. Jusque-là rien de particulier. Sauf que c’est à l’employeur d’informer le collaborateur de ce droit. S’il ne le lui indique pas, l’employeur aura l’obligation de se substituer à l’assurance. Il devra prendre en charge le salaire de son ex-collaborateur le temps de son incapacité de travail, au maximum deux ans. De nombreux patrons omettent cette information, simplement parce qu’ils ignorent cette disposition qui, pourtant, apparaît dans toutes les conditions générales des assurances.
En résumé: l’employeur doit informer, de manière précise, le collaborateur de son droit; il doit préciser que le délai est péremptoire; il doit pouvoir prouver qu’il a transmis l’information. Astuce: pour être certain que tout est sous contrôle, rien n’empêche l’employeur d’accompagner le collaborateur dans ses démarches.

 

6. Dossiers personnels : les garder

Selon les spécialistes de la protection des données, les patrons devraient grandement épurer les dossiers des collaborateurs au terme de leur contrat de travail. Bien. Sauf que, tant qu’il n’y a pas eu prescription, un litige peut toujours survenir. Et sans document… Il est donc conseillé de prévoir, dans le contrat de travail, que l’employeur a le droit de conserver le dossier du collaborateur. Et que cette autorisation est révocable en tout temps par ce dernier.

 

7. Pas de contrôles intempestifs

Contrôler, par exemple, l’alcoolémie d’un employé est possible si cela est mentionné dans le contrat de travail. On peut même l’exiger pour des raisons de sécurité, de l’employé ou de ses collègues, voire de tiers. Ou encore en cas de changement évident d’attitude du collaborateur. Seulement ce dernier n’est pas obligé d’accepter. Pour prévenir ce cas de figure, une mention de la possibilité de subir de tels tests dans le contrat de travail évite les conflits. Ce point devra également préciser quelles peuvent être les conséquences du test de dépistage ou du refus de celui-ci. D’une manière générale, si des contrôles existent, le collaborateur doit en être informé au préalable dans son contrat de travail par l’employeur.

 

8. Ne pas confondre heures et travail supplémentaires

Qu’on ne s’y méprenne pas: devant la loi, heures supplémentaires n’équivaut pas à travail supplémentaire. La base légale qui régit les heures supplémentaires se trouve dans le Code des obligations (droit privé). Celui-ci prévoit que, si les parties n’ont pas de convention différente (heures comprises dans le salaire, compensation en temps sans supplément, ou payées au salaire de base, etc.), l’employeur doit payer les heures supplémentaires avec une majoration de 25%. Ainsi, dans l’industrie, sont considérées comme supplémentaires les heures dépassant l’horaire habituel de l’entreprise (par exemple 40 heures hebdomadaires) et le maximum autorisé par la loi sur le travail (45). Concrètement, un employé ne peut pas travailler plus de 5 heures supplémentaires par semaine. Dès que l’on dépasse la limite des 45 heures, cela devient du «travail supplémentaire». La base légale devient la loi sur le travail (droit public), à laquelle on ne peut pas déroger, même d’entente entre les parties. L’employeur a l’obligation de payer ces heures avec un supplément de 25%. Une compensation en temps est possible, à condition que cela soit convenu par écrit. Sans autre spécification, elle doit intervenir dans les quatorze semaines. Par écrit, le délai peut passer à maximum une année. La loi autorise un maximum de 170 heures de travail supplémentaire par année pour un horaire hebdomadaire maximum de 45 heures. Si ce dernier est de 50 heures, un maximum de 140 heures de travail supplémentaire par année civile est autorisé.

 

9. Cinq ans avant la prescription

Le paiement des heures supplémentaires et du travail supplémentaire est exigible durant cinq ans. Un délai long qui alourdit le fardeau de la preuve. Pour éviter les tracasseries et de se faire avoir, le patron peut très bien, par exemple, fixer au collaborateur un délai de trois mois pour annoncer les heures supplémentaires qu’il n’a pas pu récupérer! Il arrive que l’employeur accorde une semaine de vacances pour compenser les débordements d’horaire, solde de tout compte. Cela peut être dangereux. Car pour le travail supplémentaire, en cas de contestation, l’employeur devra être capable de prouver que le temps qu’il accorde en congé correspond globalement au supplément de travail demandé durant une année.

 

Pas pour les cadres dirigeants

Les cadres dirigeants ne sont pas soumis à la loi sur le travail. Pour eux, la distinction entre heures et travail supplémentaires n’existe donc pas. Reste à déterminer ce qu’est un cadre dirigeant. Selon la jurisprudence du TF, il s’agit d’un collaborateur qui a réellement des responsabilités importantes dans l’entreprise. A savoir: le pouvoir d’engager ou de licencier seul des collaborateurs ou de prendre des décisions qui engagent l’entreprise. Cette définition restrictive évite les abus. A l’instar de ce restaurateur qui avait stipulé dans les contrats que tous ses employés étaient cadres pour éviter le paiement des heures et du travail supplémentaires. Une vision que le TF n’a pas partagée…

 

10. Résiliation : les avantages du délai calendaire

Lorsque vous procédez à un licenciement, il n’est pas rare que le collaborateur tombe malade. Parfois, la durée de l’absence est de trois jours (donc pas besoin de certificat médical). Reste que cela suffit à repousser la fin de la collaboration d’un mois complet! Notamment si l’on n’a rien prévu de particulier à ce sujet et que la fin du délai de congé échoit le dernier jour du mois. Pour éviter ce genre de surprise, il est possible de prévoir dans le contrat de travail des délais de congé calendaires. En clair: si un licenciement intervient le 4 septembre, le délai de congé débutera le lendemain. Si ce dernier est d’un mois, il courra jusqu’au 4 octobre et non pas jusqu’au 31 octobre selon les règles habituelles. Dans cet exemple, si le collaborateur est malade trois jours, le délai de congé ne sera prolongé que jusqu’au 7 octobre et, selon la date de l’incapacité, non au 30 novembre avec les règles usuelles. Pour Pierre Matile, cette mesure assure davantage d’égalité dans les fins de contrat. «On constate souvent que le collaborateur qui obtient un nouvel emploi demande à partir avant la fin de son délai de congé, parce qu’il doit commencer son nouveau défi tout de suite. On ne peut donc pas exiger de la part du patron des prolongations des rapports de travail fondées sur des maladies «diplomatiques».