Comment réagir quand un employé vous abandonne

Lorsqu’un collaborateur est absent de manière injustifiée, l’employeur peut être tenté à tort de résilier son contrat en invoquant un abandon d’emploi.

 

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Il y a abandon d’emploi au sens du CO lorsque le collaborateur n’entre pas en service ou abandonne son emploi abruptement sans justes motifs. Trois conditions cumulatives doivent être remplies au sens de l’art. 337d CO: l’abandon d’emploi doit être conscient, intentionnel et définitif. La volonté du collaborateur d’abandonner son emploi peut ressortir d’une déclaration expresse ou être tacite, soit ressortir d’actes concluants. Lorsqu’elle ressort d’une déclaration expresse, ce qui est assez rare, l’employeur n’a pas besoin de résilier le contrat de travail. On peut cependant lui conseiller de confirmer qu’il a pris note que le collaborateur a abandonné son emploi et que le contrat de travail a pris fin. Lorsqu’elle est tacite, il convient de déterminer dans quelle mesure l’employeur devait comprendre objectivement et de bonne foi que le collaborateur entendait quitter définitivement son emploi. Dans les situations peu claires, même en cas de petit doute, l’employeur doit adresser au collaborateur une mise en demeure de reprendre son travail ou de justifier son absence. Lorsque l’absence du collaborateur est de courte durée, on ne peut sans autre considérer qu’il y a abandon d’emploi,

 

«En cas d’abandon d’emploi, il incombe à l’employeur de prouver que le collaborateur a abandonné son emploi de façon consciente, intentionnelle et définitive.»
Pierre Matile

 

mais éventuellement manquement aux obligations contractuelles du collaborateur pouvant engendrer, après avertissement, une résiliation immédiate pour justes motifs au sens de l’art. 337 CO. A titre d’exemple, un refus passager de travailler en raison de la colère du collaborateur n’est pas considéré comme un abandon d’emploi pour autant que l’employeur soit en mesure de se rendre compte du caractère passager du refus. Lorsque l’absence du collaborateur est de longue durée, plusieurs mois, l’employeur doit considérer que le collaborateur refuse de poursuivre les rapports de travail et qu’il y a donc abandon d’emploi. En cas d’abandon d’emploi, les rapports de travail prennent fin immédiatement, soit lorsque le collaborateur a abandonné son emploi.

 

Sanctions

En cas d’abandon d’emploi, l’employeur a droit à une indemnité forfaitaire égale au quart du salaire mensuel du collaborateur. Cette indemnité est indépendante de tout dommage subi par l’employeur; il n’aura donc pas à prouver un dommage pour bénéficier de cette indemnité. Si le dommage est plus important, il a droit à la réparation du dommage supplémentaire. Lorsque l’employeur ne peut faire valoir l’indemnité par compensation (notamment si les sommes dues au collaborateur sont trop faibles ou inexistantes), sous peine de péremption, il doit exercer son droit par voie d’action en justice ou de poursuite dans les 30 jours à compter de la non-entrée en place ou de l’abandon d’emploi. La compensation n’est possible que lorsque l’employeur a mis en demeure son collaborateur ou s’il l’a averti qu’il retirerait un quart de son salaire. Le délai de 30 jours ne vaut que pour l’indemnité, non pour le dommage supplémentaire que l’employeur peut réclamer dans le délai ordinaire de 10 ans. Si l’employeur ne subit aucun dommage ou un dommage inférieur à l’indemnité forfaitaire, le juge peut la réduire selon sa libre appréciation.

 

Fardeau de la preuve

En cas d’abandon d’emploi, il incombe à l’employeur de prouver que le collaborateur a abandonné son emploi de façon consciente, intentionnelle et définitive. Si l’employeur a des doutes que tous les éléments constitutifs de l’abandon d’emploi soient réunis, il sera bien inspiré de mettre en demeure le collaborateur de reprendre son travail, ou de justifier son absence. Il précisera dans le courrier que sans reprise du travail ou justification de l’absence, le contrat de travail aura pris fin au jour du départ du collaborateur. Il faut fixer un délai raisonnable pour reprendre le travail ou fournir un certificat médical, soit qui prenne en considération la date à laquelle le collaborateur recevra le courrier. En effet, si l’employeur prend la précaution d’écrire ce courrier, c’est qu’il a des doutes; il convient dès lors que le collaborateur ne justifie pas une réponse tardive par un délai trop court. Cela ne ferait qu’ajouter à la confusion. Il incombe à l’employeur de prouver qu’il a subi un dommage supérieur à l’indemnité forfaitaire, ce qui se révèle peu aisé en pratique. Il doit en outre prouver l’entier du dommage et non seulement la partie qui dépasse le montant de l’indemnité forfaitaire. En revanche, il appartient au collaborateur de prouver que le dommage subi par l’employeur est inférieur à l’indemnité forfaitaire et qu’elle doit dès lors être réduite en conséquence (Duc/Subilia, Droit du travail, p. 656).

 

Jurisprudence

Au sens de la jurisprudence, a été considéré comme abandon d’emploi:

  • Le fait de ne pas reprendre le travail après trois semaines de vacances et n’y revenir qu’environ huit mois plus tard sans avoir donné de nouvelles à son employeur (ATF 121 V 277, consid. 3);
  • Une absence de plusieurs mois, même si après coup, le travailleur offre subitement et inopinément de reprendre le travail (ATF 126 V 26 c. 3b).

N’a pas été considéré comme abandon d’emploi:

  • Le fait de refuser l’affectation à un autre poste que celui prévu dans le contrat du collaborateur, tout en restant à disposition de l’employeur pour un poste similaire ou équivalent à celui prévu contractuellement (ATF 6.7.2005, 4C.155/2005).
  • Le fait de se mettre en colère contre son patron et quitter son travail immédiatement en emportant ses affaires et en disant qu’il ne reviendra plus. Le collaborateur est revenu les jours suivants exprimant l’intention de trouver un arrangement comportant la reprise du travail (TF 7 décembre 1999, JAR 2000 p. 227).

 

Pierre Matile